Expulsion de la Somalie du représentant des Nations Unies

Article publié dans Le Grand Continent le 14 janvier 2019

En bref – Nicholas Haysom, Représentant du Secrétaire Général des Nations Unies en Somalie, fut déclaré Persona Non Grata par le gouvernement Somalien le 2 janvier dernier. Les protestations des Nations Unies appuyée par quelques états membres ne menèrent pas à un renversement de cette décision. Prise au nom de la souveraineté par un gouvernement largement dépendante du soutien externe, cette mesure soulève des questions intéressantes sur le rapport de forces entre les gouvernants d’un failed state comme la Somalie et leurs donateurs.

Haysom, en poste depuis Octobre 2018 seulement, provoqua la colère du gouvernement avec une lettre où il questionnait la base légale de l’arrestation de Mukhtar Roobow, candidat à l’élection présidentielle du South West State – un des cinq états de la Somalie fédérale – le 13 décembre, ainsi que les violences policières qui s’ensuivirent, coûtant la vie à quinze personnes dont un membre de l’assemblée régionale et un enfant. Le Ministre des Affaires Étrangères Somalien expliqua au BBC que « Mr. Haysom a violé les règles diplomatiques en agissant comme s’il était le chef d’État de la Somalie. Il fait honte aux Nations Unies en violant la souveraineté et l’indépendance de la Somalie »[1].

Le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres, défendit Haysom (qui fut conseiller juridique proche de Nelson Mandela et qui a représenté l’ONU au Soudan et au Burundi) et protesta contre l’expulsion en arguant de son illégalité selon les conventions de Vienne, mais face au refus Somalien de renverser leur décision, il annonça qu’il allait bientôt nommer un nouveau représentant.[2]

La décision du gouvernement du Président Farmajo peut s’expliquer de différentes manières. D’abord, elle s’inscrit dans la lutte entre Mogadiscio et les Etats Fédéraux, qui réclament plus de pouvoirs. Roobow, un des fondateurs du mouvement d’opposition armée Al Shabaab, qui se distancia du mouvement en 2013 et se rendit au gouvernement en 2017, jouissait de popularité considérable dans la South West State[3]. Il aurait peut-être remporté le scrutin du 19 décembre s’il n’avait été arrêté une semaine auparavant par des soldats Ethiopiens qui assurent la sécurité à Baidoa, capitale de l’Etat, sur ordre du gouvernement central. Le candidat pro-Mogadiscio a remporté l’élection[4].

L’année politique 2018 a été marqué en Somalie par la fronde des gouvernements des états fédéraux. Or la construction fédérale de la Somalie fut une idée des Nations Unies qui veilla à son exécution, provoquant l’irritation des forces centralisatrices dans la capitale. Celles-ci ne pouvaient guère s’y opposer car elles manquent d’autonomie, le gouvernement fédéral étant largement financé par les Nations Unies et d’autres donateurs bi- et multilatéraux. Par exemple, les Nations Unies ont organisé l’entrainement et paient les salaires de la police fédérale qui tira sur les manifestants à Baidoa et les élections régionales sont aussi financées par l’ONU.

Deuxièmement, cette décision reflète le désir du gouvernement de marquer son autonomie par rapport à ses patrons internationaux. L’élection surprise de Farmajo à la présidence en 2017 fut attribuée en partie à sa réputation nationaliste. La communauté internationale, largement cloitrée dans une base ultra-protégée autour de l’aéroport de Mogadiscio, n’est pas très populaire parmi l’opinion publique Somalienne, et cette impopularité déteint sur le gouvernement fédéral, vu comme la marionnette d’intérêts étrangers non seulement par Al Shabaab, mais par une bonne partie de la population. La côte de popularité de Farmajo a chuté depuis son élection, et l’assemblée nationale a même tenté de le destituer en décembre dernier pour son manque de consultation avec le parlement et les états fédéraux sur des décisions importantes[5].

Curieusement, la dérive autoritaire et la violence diplomatique d’un gouvernement profondément dépendant du soutien extérieur rencontrent très peu de résistance internationale. Le gouvernement britannique a déploré voir un de ses piliers de la lutte contre le terrorisme – la réabsorption sociale de membres de Al Shabaab repentis – remise en question avec l’emprisonnement de Roobow et son ministre de défense a annulé un voyage prévu à Mogadiscio[6]. A part cela, très peu de réactions. Même la déclaration de Haysom devant le Conseil de Sécurité au lendemain de son expulsion (il n’en fait pas mention) est typiquement ‘constructif’ à l’égard du gouvernement Somalien[7] ; on en viendrait à oublier qu’il s’agit encore du cas paradigmatique du failed state et que le pays restait, selon les données recueillies par Transparency International, le plus corrompu du monde en 2017[8].

Ce manque de réaction est certainement dû à la complicité internationale dans l’échec de la construction d’un état Somalien, utilisé habilement par le gouvernement de Farmajo. Effectivement, quelques jours après l’expulsion de Haysom, le gouvernement requérait et obtint l’autorisation du parlement pour nommer un étranger à la tête de la banque centrale somalienne[9] ; ce sera le citoyen britannique Nigel Roberts qui travailla précédemment pour la Banque Mondiale, institution qui gère le ‘Multidonor Trust Fund’ qui finance les réformes du gouvernement Somalien et qui vient de décider d’autoriser à nouveau les prêts à la Somalie après 30 ans d’arrêt[10].

Perspectives 

– Antonio Guterres nommera bientôt un nouveau représentant pour la Somalie ; mais quelle marge de manœuvre aura-t-il (ou elle) pour engager critiquement le gouvernement Somalien ?

– La Banque Mondiale autorise le pays le plus corrompu du monde, avec un des Etats les plus faibles, à de nouveau emprunter de l’argent ; d’habitude les donateurs, qui jusqu’à présent (avec l’exception de la Turquie et des pays du Golfe) ont évité de financer directement l’Etat Somalien, suivent les préceptes de la Banque Mondiale. Alors que ni le processus de réforme constitutionnelle ni une nouvelle loi électorale sont en bonne voie, comment éviter l’accélération de la dérive autoritaire du gouvernement Somalien ?


Sources

[1] Somalia Expels UN Envoy Nicholas Haysom, BBC, 2 Janvier 2019: https://www.bbc.com/news/world-africa-46734994

[2] UN news, 4 Janvier 2019: https://www.un.org/sg/en/content/sg/statement/2019-01-04/statement-attributable-the-spokesman-for-the-secretary-general-somalia

[3] Rashid Abdi: Somalia’s South West State: A New President Installed, a Crisis Inflamed, International Crisis Group website, 24 Dec 2018. https://www.crisisgroup.org/africa/horn-africa/somalia/somalias-south-west-state-new-president-installed-crisis-inflamed

[4] Peter Fabricius for Institute for Security Studies (Pretoria): Somalia Shoots Itself in the Foot; 11 Janvier 2009. https://issafrica.org/iss-today/somalia-shoots-itself-in-the-foot

[5] The East African: Somali President Farmajo likely to survive impeachment; 15 Décembre 2018: https://www.theeastafrican.co.ke/news/ea/Farmajo-likely-to-survive–impeachment/4552908-4896674-14u5lm5z/index.html

[6] The Independent: Somalia embroiled in diplomatic row after expelling UN envoy over accusations of interference; 10 Janvier 2019: https://www.independent.co.uk/news/world/africa/somalia-un-envoy-nicholas-haysom-expelled-al-shabaab-mogadishu-a8719941.html

[7]  La déclaration de Nicholas Haysom au Conseil de Sécurité des Nations Unies du 3 Janvier 2019 peut se lire ici:   https://unsom.unmissions.org/statement-special-representative-un-secretary-general-somalia-mr-nicholas-haysom-un-security-council

[8] Page web de Transparency International sur la Somalie : https://www.transparency.org/country/SOM

[9] Garowe Online: Somalia Parliament passes law allowing foreigner to head central bank; 14 Janvier 2019. https://www.garoweonline.com/en/news/somalia/somalia-mps-approve-law-allowing-a-foreigner-to-lead-central-bank

[10] Reuters: World Bank approves first grants to Somalia in 30 years; 28 September 2018.   https://www.reuters.com/article/us-somalia-worldbank/world-bank-approves-first-loans-to-somalia-in-30-years-idUSKCN1M61EN