In English: Reconsidering EU policy options in Somalia
INTERVIEW SUR LA SITUATION POLITIQUE PUBLIÉE SUR RFI – 19 FÉVRIER 2021
Interview sur la crise électorale – Radio Vatican, 26 avril 2021.
Tribune / Opinion qui attend publication dans la presse francophone, rédigée le 11 février 2021
L’Union Européenne dépense depuis des décennies des milliards d’euros en Somalie, mais le bilan de cet engagement est plus que décevant. Si bien la société Somalienne, dynamique, connait un certain essor, le gouvernement de l’État fédéral et de ses états membres, que la communauté internationale s’est engagée à soutenir, reste paralysé par les luttes pour le pouvoir entre les clans. Ce gouvernement, dépendant de l’aide internationale et profondément corrompu, jouit de peu de soutien populaire, d’autant plus qu’il est incapable de démarrer le développement du pays exsangue. Ayant échoué à tenir des élections avant le 8 février, quand leur mandat est arrivé à terme, le Président Farmaajo et son cabinet sont même techniquement illégitimes : une bonne occasion pour l’Europe d’infléchir sa politique.
Selon l’indice de Transparency International, la Somalie a été le pays le plus corrompu du monde, tous les ans depuis au moins une décennie. Ce palmarès consternant est expliqué en blaguant par un ami Somalien: c’est parce que le Sud Soudan, le deuxième pays le plus corrompu, a pu payer plus de pot-de-vin à l’organisation qui établit les taux de corruption ; la Somalie n’a pas ces rentes pétrolières.
Nous sommes assis au ‘Pizza House’ de Mogadishu, un énorme restaurant décoré comme un Club Med avec un clientèle jeune et affluent. Pas un masque en vue ; le coronavirus n’inquiète que les étrangers confinés derrière les fils de fer barbelés de l’aéroport, dans une ‘zone verte’ inaccessible aux Somaliens ordinaires. Ce restaurant, la vie de mon ami, et la capitale en général indiquent un certain renouveau – entièrement dû aux initiatives privées. On dit du gouvernement fédéral que son autorité ne dépasse pas la capitale, mais même ici il ne rend aucun service, sauf celui d’attirer des financements étrangers. Les rues sont goudronnées par les riverains, l’hôpital public rebaptisé ‘Erdogan’ financé par la Turquie, et les maîtres d’école survivent des allocations payées par les ONGs, car les salaires du gouvernement sont faibles et souvent impayés.
Mon ami me parle de son job dans le secteur humanitaire. Il est persuadé que l’aide alimentaire a ruiné l’économie rurale de son pays, car pourquoi cultiver des céréales quand les marchés sont inondés d’excédents agricoles américains gratuits ? Pourquoi n’y a-t-il aucun investissement dans l’économie rurale, qui fait pourtant vivre la majorité des gens ? L’Etat Somalien, selon lui, préfère profiter des mannes humanitaires, ou chacun prend ce qu’il peut, que de gérer les complexités des budgets pour le développement. Il dénonce la complicité des organisations internationales, même si elles lui en font profiter en lui payant un bon salaire.
Cette critique est partagée par Al Shabaab, le mouvement insurrectionnel d’inspiration Islamiste qui a surgi lors de l’invasion Ethiopienne de 2006-2008. Malgré la présence de AMISOM, les forces de paix africaines payées presque entièrement par l’Union Européenne (la facture s’élève à plus de deux milliards d’Euros depuis 2007) Al Shabaab a su consolider sa gouvernance sur une bonne partie du centre et sud du pays. En effet, depuis des années, les troupes de AMISOM restent cantonnées dans leurs bases pour éviter les affrontements.
Les Nations Unies estiment que, contrairement au gouvernement, Al Shabaab a réussi à établir une administration fiscalement autonome, non corrompue et non-clanique (Panel of Experts Report of 28 Sep 2020). Les Somaliens apprécient leur système judiciaire et la loi et l’ordre qu’ils font régner dans leurs territoires, mais déplorent les attentats, le racket de protection auquel ils soumettent la population – même tous les business de la capitale leur paient des impôts (Hiraal Institute report Oct 2020) – et surtout les restrictions sur la liberté qu’ils imposent. Cependant, Al Shabaab prouve qu’une gouvernance plus ‘propre’ de la Somalie est possible, et notamment que le pays n’a pas besoin de rester éternellement subventionné par l’étranger.
Un autre exemple de réussite est le Somaliland, qui a proclamé son indépendance en 1991 et créé sans soutien international un état qui rend des services de base à sa population, plus démocratique que les pays environnants. Basé sur les traditions d’autogouvernance, ce havre de paix, qui n’a connu ni la piraterie ni (à peine) le terrorisme, cherche en vain la reconnaissance internationale depuis bientôt trois décennies. Mais confrontés au refus de Mogadishu de reconnaître la sécession du Somaliland, les diplomates étrangers continuent à prétendre que ce pays dépend du gouvernement fédéral.
Il est temps pour l’UE et ses états membres d’arrêter cette fiction de la souveraineté de l’Etat fédéral et de réaffirmer la souveraineté du peuple Somalien. Hormis le Somaliland, les états fédéraux comme le Puntland et Jubaland s’autogèrent de fait, et les autres collectivités territoriales somaliennes en sont sans doute capables. Au lieu d’une fédération qui connaît une lutte pour le pouvoir permanent entre le centre et les régions, un modèle confédéral (comme la Suisse) semble plus appropriée à la Somalie. L’engagement Européen aux côtés du gouvernement Somalien lui coûte cher, mais ne bénéficie qu’aux organisations internationales et à leurs consultants, ainsi qu’aux élites gouvernementales Somaliennes.
L’UE dépense au moins un demi-milliard d’Euros par an en Somalie, et les états membres – même sans l’Angleterre – contribuent au moins un autre demi. En dépensant 10 ou 20% de cette somme, mais de manière plus ciblée, l’Europe pourrait avoir un impact vastement plus positif. Il faudrait pour cela s’appuyer sur les traditions d’autogestion des communautés somaliennes, privilégier toute activité de développement social et économique décidée par ces communautés et cesser d’imposer un modèle d’État occidental. Il n’y a pas lieu, non plus, de leur enseigner la démocratie, car l’autogestion Somalienne est basée sur le consensus.
Sans doute le gouvernement fédéral Somalien s’opposerait à une telle redéfinition de la politique européenne, mais est-il en mesure de l’arrêter ? Il n’a plus de légitimité, surtout depuis que l’échéance électorale a été dépassée, et il connaît bien sa dépendance de l’Europe.
Robert Kluijver est enseignant et chercheur spécialiste de la Corne d’Afrique au CERI, le Centre de Recherches Internationales à Paris
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Thanks and all the best
Thank you Stefania, Puntland is a fascinating place tow work and I hope you do write about it. I will check out your blog too.